Éditions Flammarion. Mars 2018.
« Si les académiciens se mettent à faire dans le polar, que va-t-on devenir, nous autres, auteurs de bas étages et pourvoyeurs littéraires des trajets ferroviaires et des plages du littoral ? » Voilà ce que j’ai pensé en découvrant que Jean-Christophe Rufin, qui m’a toujours convaincu (« La salamandre », « Le collier rouge » et d’autres.), créait l’évènement de ce début d’année 2018. J’ai attendu un peu pour céder. Mais je suis curieux.
Généralement, les bouquins précédés par trop de papiers, pubs, annonces et présence médiatique ont tendance à me paraître suspects. Sans doute parce que les miens ignorent… ou, restons réalistes, sont ignorés de ces canaux incontournables de la culture nationale (Celle des têtes de gondoles). Mais là, c’est Rufin et c’est du polar. Beau mariage intriguant. J’étais persuadé d’avoir des « finitions » parfaites. Un peu comme quand on passe de la Clio 2, sièges tissu et plastique à gogo, à la berline anglaise haut de gamme, cuir et ronce de noyer. Ça roule pareil, ça sert à aller d’un point à une autre, pareil, et pourtant c’est incomparable. C’est à ça que je m’attendais. Et je n’ai pas été déçu.
Je n’imaginais pas le thriller et la quatrième de couverture m’a rassuré tout de suite à ce propos. L’intrigue – est-elle vraiment importante ? – je ne vous en parlerai même pas. Le titre en dit assez. L’enquête ? Classique sans plus, la surprise est ailleurs. Mais quel plaisir de suivre ce consul atypique (y a-t-il d’ailleurs deux consuls identiques ?) d’origine et de nom roumains : Aurel Timescu. Un diplomate qui nous balade dans les arcanes, certainement bien documentées, des affaires étrangères post-coloniales de notre beau pays qui, décidément, a bien du mal à couper certains cordons. Aurel est un homme entravé, entravé par la vie, entravé par sa fonction et surtout entravé par lui-même. Très conscient de l’inutilité sociale de son existence, il ne se console, ni se satisfait, du titre ronflant que l’administration du quai d’Orsay lui a attribué à la faveur d’une suite de circonstances pas banales. Quelqu’un un peu dans la mouvance Hercule Poirot mais en beaucoup moins complaisant à son propre égard. Un raté, parmi une échelle de ratés, qui a atterri à Conakry parce qu’il faut changer de poste tous les deux ou trois ans. Je n’y suis jamais allé à Conakry et je n’envisageais pas d’y mettre, un jour, les pieds. J’ai encore dû prendre mon atlas pour situer la Guinée. C’est malin voilà que ça me tenterait bien maintenant.
Je n’y connais pas grand-chose en diplomatie, en ambassades ou en consulats. Toutes ces officielles officines exportées où il faut représenter la France tout en se gardant bien de se mêler des affaires locales. Un aréopage de fonctionnaires exilés et, me semble-t-il tout à fait inutiles, pour contribuer au rayonnement de la cinquième merveille du monde que doit absolument continuer de représenter notre beau pays au sein d’un monde qui nous grignote doucement. Jean-Christophe Rufin ne nous livre pas de secrets scandaleux mais nous permet de nous familiariser avec ces étranges missions financées par nos impôts. Si, selon ce que j’ai compris, on retire les aspects « formalités administratives » pour soutenir nos expatriés et touristes en perdition, il ne reste pas grand-chose de plus que les petits fours, le champagne et le rayonnement de nos macarons.
Ce livre est écrit avec, à la fois, une rigueur académique (il faut parfois prendre le dico et « cela », même dans les dialogues, boute « ça ») et une légèreté qui en fait un plaisir permanent et doux. J’ai aimé cet Aurel, ses velléités, ses empêchements et son acharnement. Un timide modeste qui mène l’enquête avec la sœur de la victime, qui le met dans tous ses états, sans jamais oser un écart aux convenances. J’ai aimé visiter Conakry, ses quartiers bien identifiés et sa marina vouée à une oisiveté toute africaine. J’ai aimé les rapports entre les uns et les autres, les rivalités camouflées, les conflits d’intérêts et l’opiniâtreté de ce consul que j’ai hâte de retrouver sous d’autres cieux, avec d’autres contraintes et d’autres habitudes (mauvaises) locales. Si vous voulez « entreprendre » un académicien, mes amis, c’est par celui-là qu’il faut commencer.
BRAVO Cicé, un beau commentaire qui donne envie de lire ce polar.
Je me doute que le fait que ce diplomate n’ose aucun écart aux convenances, a dû te changer !!!
Bonne continuation livresque 😉
Merci chère Nath! ça c’est sûr, c’est propre 🙂 ! Mais il faut de tout pour faire une « littérature nationale » …
Je suis convaincu que , puisqu’un académicien est capable de pondre un polar , tu es , ami Cicé , capable d’entrer à l’Academie Française.
Il suffit , comme pour les Miss France , de demander l’avis du public et tu seras élu sans coup férir (comme disent les Habits Verts)
Merci cher Jean-Pierre….La coupole m’attend donc 🙂 🙂
Quelle belle critique tu nous fait là, oui « cela » donne envie de découvrir ce Conakry là… Mercicéron !
« Cela » devrait te plaire 🙂 🙂
Décidément Cicé tu nous surprends encore, tu es un excellent chroniqueur et je viens d’inscrire ce livre sur ma liste à lire. Bises
Tu me rends rouge de confusion… Normalement tu devrais apprécier…. 🙂